Un ersatz populaire

Dans un pays où la sexualité reste l’un des plus grands tabous, les solutions alternatives sont plutôt bien accueillies par une population jeune et en pleine phase de découverte. En un laps de temps, le cybersexe est devenu un marché des plus juteux, mais aussi des plus préoccupants… Sous des airs de ne pas y toucher, les amateurs usent et abusent de la chose pour combler certaines de leurs frustrations. Fantasmes inassouvis ou curiosité sont autant d’ingrédients favorisant le recours à des sites proposant «un service XXL» comme on dit dans le jargon. D’un simple site de rencontre à sa version plus hardcore (gonzo.com), les offres finissent toutes par se ressembler visant un public assez hétérogène. «Internet a développé le concept d’une pornographie accessible à tous et à tout moment» explique Oumaïma Khairouni, psychologue casablancaise qui avoue son anxiété face à certains comportements observés. «C’est un cercle vicieux, où s’entremêlent un bon nombre de paramètres : l’absence d’éducation sexuelle, la quête visuelle à défaut de l’acte lui-même (l’ersatz), le voyeurisme. Le pire, c’est lorsqu’après avoir vu ces images, certains passent à l’étape du mimétisme». L’absence d’éducation sexuelle ? C’est là que le bât blesse, même si pour beaucoup de puristes, toute sensibilisation équivaudrait à donner libre cours à la débandade du sexe hors mariage. D’après Fouad Benmir, chercheur en sociologie : «Nos parents, nos enseignants nous apprennent tout ou presque, quand il s’agit de sexualité; en revanche la majorité des Marocains reste à la merci de la rue, des vidéos et aujourd’hui des sites internet. Les usagers sont en quête de réponses et de sensations, mais malheureusement, c’est une vision erronée et animale de la sexualité qui y est véhiculée». «Les jeunes, poursuit-il, constituent la catégorie la plus vulnérable; il est impératif de leurs parler et de les prémunir contre ce que j’appelle la sexualité populaire, celle-là même qui s’éloigne de la réalité et qui est responsable des nombreux déséquilibres constatés». «Pour les personnes d’un âge plus avancé, je dirai que le recours à la chose est la résultante de deux facteurs: le statut de procréatrice dans lequel la femme mariée de notre société se voit confinée et la tendance qu’a l’homme de chercher d’autres moyens de réaliser ses lubies érotiques ».

Le cybersexe devient à ce moment un moyen de transgresser certains interdits tout en laissant indemne le champ conjugal.

Agir en toute discrétion. Revenons maintenant à la question initiale qui était de savoir si de tels jeux pouvaient porter préjudice aux relations entre les genres. Le sinistre tableau d’hommes ou de femmes glués à leurs ordinateurs, devenus adeptes des rapports virtuels peut sembler caricatural, mais effraie aussi. Selon Amal Chabach, sexologue, la tentation est double. Les sujets ont la possibilité d’agir en toute discrétion et de faire preuve d’une imagination débridée sur un terrain où tout est permis.

Cela ne va pas sans risque. «Un personnage Lambda peut très vite se conforter dans la facilité et sombrer dans l’addiction totale; l’autre danger serait notamment le rejet de la relation humaine en bonne et due forme, nécessitant elle bien plus d’effort qu’un simple clic de souris». Une mauvaise exploitation du libre accès (réglementation proche du zéro absolu) aidant, certains n’hésitent plus à s’introduire dans l’ère d’une sexualité en boîte, pour parfois moins de cinq dirhams…