Sarkozy, président européen

Si le mot «historique» accolé par Sarkozy aux nombreux sommets qui ont marqué sa présidence est abusif, réduire celle-ci à la seule agitation d’un homme qui parle plus qu’il n’agit l’est tout autant. Surtout que la présidence française ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices entre le «non» irlandais au traité de Lisbonne, le scepticisme polonais…et la suspicion à l’égard d’une France dont le «non» à la Constitution européenne avait failli faire capoter la construction européenne en 2005. La liste des dossiers dits prioritaires était en outre particulièrement ambitieuse: paquet Energie-Climat, Pacte européen sur l’immigration et l’asile, renforcement de la Défense et révision de la fameuse Politique Agricole Commune…

Omni-président pour le meilleur et le pire

Les deux crises – conflit en Géorgie et crise financière internationale- qui ont marqué la présidence française ont donné à Nicolas Sarkozy la possibilité d’apparaître comme un «président européen». Pour le meilleur et parfois pour le pire.

Le meilleur? Il a insufflé une énergie et une assurance qui manquaient à l’UE pour exister, été présent sur tous les fronts où il a su faire preuve de pragmatisme. Le pire? Sa posture d’omni-président brutal et autoritaire lui a fait souvent oublier que séparation des pouvoirs et liberté de presse n’étaient pas des mots creux. Mais surtout, sa manière de bousculer les personnes et les choses pour avancer l’a fait passer par dessus nombre de ses partenaires. Cela a crée des tensions au sein de l’Union, dynamité le couple franco-allemand, moteur de la construction européenne, et exaspéré les dirigeants polonais et tchèques, qui reprochent entre autre à Sarkozy de ne pas assez prendre en compte leurs intérêts dans ses négociations avec la Russie quand ils ne perçoivent pas la médiation européenne comme une capitulation devant Moscou. Retour sur ces six mois d’une présidence française qui s’achève le 31 décembre.

Le positif : rassembler les Européens sur la Georgie et la crise financière

C’est dans la gestion des crises que le chef de l’Etat français est apparu le plus réactif et déterminé à apporter une réponse européenne. Dès l’éclatement de la guerre entre la Georgie et la Russie à l’été, il s’est rendu à Moscou et Tbilissi pour y négocier, avec succès, un cessez-le-feu, un retrait russe et le déploiement de quelques centaines d’observateurs européens. Certes, la Russie, forte des divisions au sein de l’Europe et de son poids énergétique auprès des Français, des Allemands et des Italiens, a mis plusieurs mois pour se retirer de Georgie et a reconnu les indépendances des régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Mais ce conflit a néanmoins permis aux Européens de pénétrer dans le Caucase, sphère jusqu’ici exclusive du Kremlin. Cela offre à la Géorgie, à l’Ukraine et à d’autres ex-républiques soviétiques la possibilité de contrebalancer un tête à tête étouffant avec les Russes.

La crise financière mondiale aura été l’autre faire valoir de Nicolas Sarkozy qui aura tout fait pour y apporter une réponse européenne quand chaque partenaire de l’Union a eu tendance à défendre d’abord ses intérêts nationaux. Certes, le sommet mondial de Washington n’a pas été le «Bretton Woods» voulu par Sarkozy. Les multiples rencontres pour tenter de faire face à la récession et à un chômage déjà dévastateur n’auront pas plus permis de vaincre le refus allemand de mettre sur pied vaste plan de sauvetage des banques, du type de celui proposé par Washington (700 milliards de dollars). Mais, grâce au britannique Gordon Brown, les 27 ont fini par adopter un plan de relance de 200 milliards d’euros, chiffre révélateur des limites budgétaires européennes. Et ce même si la coordination des politiques économiques demeure un voeu pieux puisque chaque pays reste libre des mesures de relance à prendre.

Autre point positif: la future organisation d’un nouveau référendum en Irlande pour tenter d’obtenir un vote positif. Même si en échange, Dublin demande plusieurs garanties : le maintien d’un commissaire irlandais dans l’exécutif européen, de sa neutralité militaire, de son faible taux d’imposition et de l’interdiction de l’avortement…

Les relations franco-allemandes, échec principal…

Si tout sépare la chancelière allemande de Nicolas Sarkozy, ce dernier porte sans doute une lourde responsabilité dans la dégradation de leurs rapports. D’autant que le rapprochement avec Gordon Brown est perçu comme se faisant au détriment de Berlin…

Le surplace institutionnel constitue un autre échec de Paris qui n’a guère donné l’exemple d’une grande ambition susceptible de transcender les intérêts nationaux dans les domaines de la fiscalité, de l’asile et de l’immigration. La volonté de Sarkozy de poser la question du leadership dans une UE qui s’agrandit sans cesse a été en outre perçue comme arrogante, notamment par les petits états membres, sans pour autant être capable d’élaborer un projet alternatif sur lequel baser un leadership.Autant dire que le fossé entre la «vieille» Europe et les nouveaux Etats membres de l’ex-Est ne s’est pas résorbé et que le volet énergétique l’a encore creusé, Tchèques et Polonais défendant notamment la libre gestion des énergies fossiles.

Du coup, la très ambitieuse lutte contre le réchauffement climatique -réduire en 2020 de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et porter à 20 % le taux de consommation des énergies renouvelables- objet du sommet de Bruxelles des 11 et 12 décembre, s’est conclu sur un compromis: faire payer des droits à polluer à une partie de l’industrie européenne, dans l’espoir de contribuer à réduire les émissions européennes de CO2 de 20% d’ici à 2020… Comment dès lors juger la présidence française qui, le 1er janvier, passera le témoin à des Tchèques dont le président Vaclav Klaus est un anti-européen déterminé? Si les résultats réels sont en demi-teinte, la vraie réussite de Nicolas Sarkozy reste sans doute de l’ordre du symbolique: avoir réussi à incarner une Europe qu’on croyait moribonde et à en faire un acteur. Et surtout avoir changé le regard des citoyens en montrant que l’Union pouvait aussi intervenir et faire entendre sa voix dans le règlement des crises internationales. C’est à la fois peu et beaucoup.