Réforme de la constitution – Le cache-misère

ahmed charaï

Depuis son dernier congrès, l’USFP fait de la réforme constitutionnelle son cheval de bataille préféré. Son mémorandum est maintenant éventré. L’on sait qu’il ne s’agit que de propositions mineures, visant le Conseil des ministres, la promulgation des lois et le processus des nominations. Une réformette plutôt qu’une vraie réforme !

L’USFP a pris le risque de faire imploser la Koutla sur l’autel d’un projet aussi peu ambitieux. Pour comprendre cette attitude, il faut revenir au dernier congrès de l’USFP.

Celui-ci a démontré que les socialistes vivaient une vraie crise identitaire. Ils n’ont pu faire une évaluation correcte de leur expérience gouvernementale. Ils ont choisi de répondre à la question de la pertinence de leur participation au gouvernement El Fassi par un ni-ni, mais en gardant leur liberté d’action. Deux thèmes devaient réconcilier les militants avec leur passé : le retrait (du gouvernement) du nouveau premier secrétaire et la réforme constitutionnelle.

Abdelouahed Radi n’a pas pu tenir parole, sur insistance royale nous dit-on. Reste la réforme constitutionnelle.

Il faut savoir que dans ce parti, le mot d’ordre de réforme constitutionnelle est lié au passé militant, au bras de fer avec le Palais. Derrière, auparavant, se cachait une réelle détermination contre «l’autoritarisme».

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le contexte politique a totalement changé et il n’y a plus de bataille de légitimité. C’est la raison du malaise de l’USFP sur la question. La monarchie parlementaire, comme «horizon», est un slogan à consommation interne. Il tend à situer l’action du parti dans une continuité très hypothétique.

Recherche de la virginité

D’ailleurs, dès le lendemain du congrès, les dirigeants socialistes s’escrimaient à expliquer que cette demande ne visait en rien la monarchie et que seul le roi reste maître de l’agenda.

Ils sont même allés plus loin, puisque leur mémorandum ne touche aucunement à l’article 19 et qu’il se veut juste le résultat de leur expérience.

Les propositions ne visent pas un rééquilibrage institutionnel mais l’amélioration de l’efficacité du travail gouvernemental. La nuance est de taille. Mais surtout, on ne voit pas comment ces propositions peuvent être intégrées dans un processus visant la monarchie parlementaire.

Par ailleurs, l’attitude de l’USFP est incohérente. Son ex-premier secrétaire accepte un ministère sans portefeuille, sans aucune activité officielle. Abdelouahed Radi n’a pas quitté ses fonctions, alors qu’il s’est fait élire sur la base de cette promesse. Les ministres socialistes ne sont pas solidaires des positions de leur groupe parlementaire.

Cette incohérence est un élément de la crise, mais celle-ci est plus grave. Elle a trait au véritable projet des socialistes. Celui-ci n’a plus de contours visibles. Il n’y a plus aucun positionnement sociétal qui puisse le différencier des autres formations. A trop jouer le consensus, ce parti a perdu son identité, et la majorité de ses troupes et de ses électeurs avec. Aujourd’hui, il risque de disparaître des conseils communaux des grandes villes. C’est dire s’il est en perte de vitesse.

C’est pour cela que la question de la réforme constitutionnelle paraît plus relever d’une manœuvre politique que d’une approche militante. Elle aurait pris tout son sens si l’USFP quittait le gouvernement et réclamait une avancée dans la transition, une étape supérieure dans la construction démocratique. Le fait de présenter ce mémorandum en solo, sans mobilisation autour, lui fait perdre tout poids. L’USFP sait bien que la constitution n’est pas la préoccupation première des Marocains et qu’une mobilisation autour de sa réforme a un préalable : la rationalisation du champ politique.

Or, sur ce terrain, les socialistes sont en décalage. Leur pratique n’est pas exempte de tout reproche. Ils n’ont pas œuvré pour une alliance large avant le scrutin des municipales alors qu’ils savent pertinemment que c’est à ce niveau que se joue la crédibilité des politiques et, en plus, leurs structures sont en déconfiture. Quant aux militants, ils sont dégoûtés. L’USFP ne peut tenir son rôle d’acteur central en utilisant la réforme constitutionnelle comme un cache-misère. Le parti se doit de faire le bilan de ses choix depuis 1992 et la fameuse motion de censure, doit revoir sa stratégie d’alliance et remettre à plat ses positionnements. C’est ce travail qui peut aboutir à une vision institutionnelle crédible et ambitieuse, dont il s’agira de convaincre les citoyens en premier lieu. C’est cette réforme que l’USFP doit entreprendre pour revaloriser l’action politique.

«Nous n’avons formulé que des demandes autour desquelles le consensus est possible.»

Driss Lachgar, membre du bureau politique de l’usfp.

L’Observateur du Maroc. D’après ce qui a filtré du projet de réforme de la constitution que vous avez élaboré, cela semble en deçà de vos anciennes revendications ? Avez-vous établi un plafond à vos demandes ?

Driss Lachgar. En ce qui concerne la réforme de la constitution, la démarche de l’USFP n’obéit pas à des considérations de quantité et de plafond, mais découle des besoins réels de la société. Si vous voulez, le plafond des réformes constitutionnelles peut être formulé par un étudiant débutant en droit constitutionnel si on lui demande de nous faire un exposé sur la monarchie parlementaire exemplaire.

Le mémorandum de réforme constitutionnelle élaboré par l’USFP intervient après une analyse approfondie de la réalité politique marocaine et bien sûr après l’étude de notre expérience au sein du gouvernement d’alternance. Notre projet de réforme se fait à partir de notre travail au sein des institutions étatiques et nous sommes tout à fait conscients de la situation que traverse notre pays ainsi que des contraintes auxquelles il fait face. C’est pourquoi nous n’avons formulé que les demandes autour desquelles le consensus est possible. C’est cela notre rôle et non de chercher une constitution modèle.

Exit alors la revendication d’une monarchie parlementaire que vous avez évoquée lors du dernier congrès ?

Il ne faut pas oublier que la monarchie parlementaire que nous avions mentionnée lors de notre dernier congrès constitue le modèle le plus abouti du régime monarchique démocratique. En fin de compte, c’est de la souveraineté qu’il s’agit. Est-ce que la souveraineté appartient au roi ou au peuple ? Nous pensons, à l’USFP, que la démocratie doit consacrer une double souveraineté, celle du roi et celle du peuple. C’est cela la véritable clé d’un échafaudage démocratique qui garantirait la stabilité et la pérennité des institutions.

Finalement, c’est l’USFP seul qui demande à réformer la constitution ?

Personnellement, depuis le congrès, j’étais conscient que nous allions être seuls à demander l’amendement de la constitution. Le dernier congrès de l’USFP s’est livré à une analyse de la situation et de la période politique que traverse le pays et qui est différente de celle que fait de cette situation et de cette période le parti de l’Istiqlal. Le congrès a laissé le soin à la direction de l’USFP d’ouvrir un débat national sur le chantier constitutionnel. Il n’a pas été spécifié que cela devait être fait conjointement avec l’Istiqlal. Cela dit, et à partir de notre histoire commune, la direction de l’USFP a tenu à faire appel à l’Istiqlal, même si j’étais certain que nos frères istiqlaliens allaient refuser de s’associer à cette démarche et ce en harmonie avec leur analyse de la situation politique. Cela a tout de même engendré un retard dans la présentation du mémorandum de réforme.

Le mémorandum de l’USFP n’est-il pas une manœuvre électoraliste avant les prochaines élections communales ?

La réforme constitutionnelle porte sur le cadre général institutionnel du pays. Ceux qui pensent que les prochaines échéances électorales que connaîtra le pays, du 12 juin jusqu’à fin septembre, ne vont concerner que des problèmes d’assainissement et de voiries se trompent énormément. Dans son essence, le processus touche le cadre institutionnel général du pays. Chaque réforme instituée doit améliorer la représentativité des communes. Il ne faut pas oublier que ce sont les prochaines échéances électorales, communales ou professionnelles, qui façonneront le tiers de la Chambre des conseillers.

Evolution de la constitution

Mohamed Semlali

La constitution de 1992 est de loin celle qui a opéré les grands changements. Néanmoins, le texte de 1972 avait opéré un changement substantiel quant au pouvoir réglementaire dévolu au Premier ministre, alors qu’en 1962, celui-ci le partageait avec le Roi qui l’avait repris dans son intégralité en 1970. Ce qui revient à dire que, dans une large mesure, la révision de 1970 avait constitutionnalisé un important aspect de l’Etat d’exception, à savoir l’exercice du pouvoir réglementaire. Mais si l’on fait abstraction de cet aspect, on remarquera que c’est le texte de 1992, dont les acquis ont été préservés par la révision de 1996, qui constitue le tournant décisif, caractérisé par la valorisation de l’institution gouvernementale et son renforcement par rapport au passé. A y voir de près, ce sont les innovations du texte de 1992, maintenues en 1996, qui ont permis la mise en place du gouvernement d’alternance et également le saut qualitatif en ce qui concerne la démocratisation des institutions et des relations entre les pouvoirs publics à l’image de ce qui a cours dans les démocraties occidentales avec cette particularité de taille, que le Roi dispose de prérogatives qui surplombent toutes celles des autres institutions. Il oriente le travail parlementaire et celui du gouvernement, préside le Conseil des ministres et peut intervenir dans le domaine judiciaire. C’est la constance de toutes les révisions constitutionnelles.

«Le contexte politique que traverse le pays exige une initiative de mobilisation.»

Chakib Bensouda, secrétaire général du parti Annahda

L’Observateur du Maroc. Y a-t-il un besoin urgent d’établir une réforme constitutionnelle ?

Chakib Bensouda. Il ne fait pas de doute que le contexte politique que traverse le pays réclame une initiative de mobilisation qui passe nécessairement par une certaine clarification des ressorts des pouvoirs. Soulever la question de la réforme constitutionnelle peut-il s’apparenter à un tel attendu ? Il est permis d’en douter pour deux raisons majeures. La première relève de l’indifférence avec laquelle les Marocains réagissent à cette revendication. La seconde tient au fait induit par la première, c’est-à-dire un rapport de force inadéquat. Dans le doute collectif, et compte tenu des attentes, chacun admet finalement que le fait de brandir cette arme relève plutôt de calculs politiques conjoncturels qui ne correspondent pas à un besoin impérieux de la société et qui ne répondent donc pas à une aspiration exprimée au sein de la population.

Quels sont les handicaps majeurs que vous constatez dans l’actuelle constitution ?

En fait, notre problème tient aux rapports que chacun entretient avec les textes. Je vais prendre trois exemples qui sont autant de modèles où il est fait peu de cas de la loi.

1. Le code de la route spécifie que le retrait du permis de conduire ne peut se faire qu’avec un mandat du procureur. Pourtant, les agents verbalisateurs, qui ne sont que verbalisateurs, ne rechignent pas à violer la loi, créant ainsi une situation de fait qui s’est installée dans les habitudes en marge du droit.

2. La HACA n’est qu’une instance consultative auprès du souverain chargée de veiller au respect des règles audiovisuelles. Pourtant, elle a refusé de trancher dans une injustice effective dont est victime le parti Annahda, faisant montre d’un pouvoir qui dépasse ses prérogatives telles que consignées dans la loi.

3. Dans le cadre du dialogue social, le gouvernement négocie avec les syndicats, en tant que représentants de par la loi des travailleurs, et avec la CGEM, au nom des entrepreneurs. Pourtant, il existe de par la loi des institutions élues qui sont censées représenter ces entrepreneurs, à savoir les chambres professionnelles. Ainsi, dans les faits, le pouvoir de la CGEM, reconnue en tant qu’interlocuteur officiel, dépasse largement la légitimité élective des chambres.

On pourrait multiplier les exemples à souhait et on ne trouverait en fait que les textes de répression qui sont appliqués à la lettre et parfois au-delà. Sinon, c’est la loi du pouvoir qui impose sa force. En fait, par la conjugaison d’une culture du pouvoir qui s’affranchit de la loi et par l’absence d’un Conseil d’Etat qui puisse canaliser les pouvoirs sur le chemin de la loi, s’établit dans les faits une situation de dévalorisation des textes, dont la Constitution.

Croyez-vous que la constitution est vraiment la cause des difficultés que connaît la politique actuellement ?

L’analyse du contexte actuel est d’une complexité effarante dans laquelle concourt un ensemble d’éléments, dont le texte constitutionnel. Mais croire qu’en agissant sur ce seul levier on peut nous faire accéder à la solution suprême est une chimère. Comme je l’ai dit, notre société a besoin de clarification pour installer la confiance. Cette clarification touche effectivement le type de rapports entre les pouvoirs institutionnels. Mais avant cela, il est plus urgent d’identifier l’identité et le rôle de pouvoirs obscurs et diffus qui touchent à différents aspects et à différents niveaux de la vie publique. De ceux-là, la Constitution ne parle pourtant guère. Ce sont ces pouvoirs obscurs qui promeuvent et favorisent la culture de la dévalorisation des textes pour garder l’opacité et faire de leur pouvoir, et de celui de ceux qui s’en inspirent, un état de fait qui va au-delà du droit. Cette institutionnalisation de pouvoirs obscurs en marge des pouvoirs institutionnels doit être levée en marge d’une revalorisation des textes et des symboles du droit et de la loi. Voilà une initiative qui pourra redonner confiance aux Marocains. Après cela, on pourra toujours débattre de la meilleure organisation des pouvoirs, mais alors avec des garanties d’application..