Comment Bush a évolué sans trahir Israël
George W. Bush s’était déjŕ rendu en Israël une premičre fois. C’était en 1998, lorsqu’il n’était encore que gouverneur du Texas. Il y avait été cornaqué par un général, alors ŕ la retraite, du nom d’Ariel Sharon. Sharon l’avait promené en hélicoptčre au-dessus de la Cisjordanie, lui montrant l’imbrication des territoires et décrivant les colonies juives comme des postes avancés de la sécurité d’Israël. L’expérience avait fait grande impression sur le futur président, au point qu’il l’évoqua lors de son premier Conseil de sécurité nationale ŕ la Maison-Blanche.
Dix ans plus tard, c’est un président américain en fin de mandat qui vient d’effectuer sa premičre visite officielle en Israël et dans les Territoires palestiniens. Celui qui avait pris le contre-pied de ses prédécesseurs, rejetant non seulement l’approche volontariste de Bill Clinton mais aussi celle de son propre pčre, George H. W. Bush, organisateur de la conférence de Madrid en 1991, y a défendu des positions remarquablement proches de la posture américaine traditionnelle. Il y a parlé de ŤPalestine souveraine et indépendanteť, de Ťfin de l’occupationť, de territoires Ťviables et contigusť. Il y a critiqué les barrages militaires et les Ťentravesť israéliennes ŕ la modernisation des forces de sécurité palestiniennes.
George W. Bush n’est pas allé jusqu’ŕ s’aligner sur les Ťparamčtres Clintonť établis ŕ Camp David en 2000, omettant de définir Jérusalem comme la future capitale de deux États et se gardant d’indiquer combien de colonies devraient ętre démantelées. Mais il a sensiblement évolué, sans pour autant trahir Israël.
Il ne fait gučre de doute que sa démarche actuelle répond avant tout au souci de garantir la stabilité de la région en assurant la sécurité ŕ long terme de l’État juif. L’émotion qu’il a manifestée au mémorial des victimes de l’Holocauste ŕ Yad Vashem n’a rien de feint. Le président américain voit ce petit pays allié comme un îlot de démocratie dans un Proche-Orient dominé par les régimes autoritaires. Son expérience religieuse de born again (une Ťrenaissanceť dans la foi) le met en phase avec les chrétiens fondamentalistes américains, qui font une lecture littérale de la Bible et voient dans le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale la meilleure façon de hâter le retour du Messie. Or, Bush a compris que la séparation des populations offrait ŕ terme le seul moyen de préserver le caractčre juif de l’État hébreu.
Les considérations géostratégiques jouent également un rôle dans son évolution : face au péril iranien, Washington a besoin de rallier les États arabes Ťresponsablesť, sinon démocratiques, autour d’une cause commune, que fournit opportunément le projet d’État palestinien.
Il serait naďf de négliger la politique intérieure américaine. Les quelque 6 millions de juifs ont beau représenter ŕ peine 2 % de la population, ce sont des citoyens engagés qui votent plus que les autres (4 % des suffrages dans les élections générales) et forment un groupe charničre dans plusieurs États clés, en particulier New York, la Floride et la Californie. En 2000, George W. Bush avait recueilli 19 % des voix de cette communauté, traditionnellement Ťlibéraleť (plutôt ŕ gauche). Mais en 2004, la guerre en Irak et la défense d’Israël lui avaient valu 34 % du vote juif, bien plus que les 11 % de son pčre face ŕ Bill Clinton, et pas trčs loin du record de 39 % obtenu par Ronald Reagan en 1980.
Bush a beau ętre aujourd’hui débarrassé des pressions électorales, il pourrait rendre un grand service au camp républicain dans la campagne en cours : toute percée auprčs de cette communauté, qui contribue pour prčs de la moitié au financement des campagnes démocrates, est bonne ŕ prendre.
En 2006, deux professeurs de sciences politiques ŕ l’université de Chicago et ŕ Harvard, John Mearsheimer et Step hen Walt, avaient fait sensation, avec leur opuscule Le Lobby israélien. Ils tiraient argument du rôle de lobbies officiels comme l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) qui compte 100?000 membres, de l’inclination pro-israélienne des néoconservateurs et de la présence ŕ la Maison-Blanche de conseillers alignés sur le Likoud (le parti de la droite israélienne) comme Elliott Abrams, pour soutenir qu’Israël avait Ťpris en otageť la politique étrangčre américaine, au détriment de ses propres intéręts.
Au-delŕ de la polémique qu’il a suscitée, ce pamphlet n’a gučre eu d’effet tangible sur la position des États-Unis. Il néglige en effet le consensus national qui est au cur de l’alliance avec Israël : un phénomčne profond, aux dimensions historiques, idéologiques et affectives, que l’historien Earl Raab expliquait par Ťla crainte, si l’Amérique abandonne Israël, d’abandonner du męme coup la communauté juive américaineť.
Apporter la paix ŕ Israël ferait de George Bush, non pas le plus pro-israélien, mais le plus chrétien des présidents américains. Ed Koch, l’ancien maire de New York, justifie ainsi cette alliance théologique : ŤSi 70 millions d’évangéliques veulent devenir nos amis, acceptons-les. Quand le Messie viendra, on lui demandera si c’est sa premičre ou sa seconde visite, et on verra bien qui avait raison !ť