L’amazighité : une question politique

Après plusieurs retards, la chaine amazighe est enfin sur les rails. Revendication maitresse de l’Institut de la culture amazighe, elle n’avait pu voir le jour, officiellement par manque de moyens. Cette fois, l’Etat s’engage à consacrer un demi-milliard de dirhams sur 4 ans à cette chaine thématique d’un genre particulier. Si sur le plan humain il est évident que cette nouvelle chaine va puiser dans l’existant et que donc il n’y a aucune crainte sur les qualités professionnelles, il n’en est pas de même du contenu. Celui-ci dépend nécessairement de la vision politique qui préside à la création de cette chaine.

Les deux pièges, primaires, à éviter sont la ghettoïsation par une programmation qui exclurait les non-amazighophones, en particulier en refusant le sous-titrage, et «l’aseptisation» en en faisant une chaine qui évite les débats centraux, en particulier celui de l’amazighité. L’autre menace serait d’en faire une chaine militante, livrée aux plus extrémistes. Mais ce danger est relativement faible, quand on voit la fébrilité des gardiens du temple sur les autres chaines. La chaine amazighe est un acquis pour le Maroc. Le pays continue son processus de réconciliation avec lui-même. Mais la question berbère n’en est pas pour autant résolue.

Jusqu’ici, les officiels en font une question culturelle. On dirait à les entendre qu’il s’agit juste de valoriser la culture et la langue d’une minorité. Cette vision étriquée aurait pu prévaloir à l’aube de l’indépendance, avec quelques chances de succès. Beaucoup trop d’eau a coulé depuis sous les ponts.

Aujourd’hui, nous sommes face à une question identitaire. La revendication concernant la constitutionnalisation des langues amazighes n’est rien d’autre que la revendication d’une restitution de l’identité plurielle du pays. Cette revendication recoupe d’autres : sociales, économiques et culturelles. On oublie trop souvent que les régions amazighes sont celles qui ont les plus grands besoins en infrastructures et le moins de possibilités économiques.

La plupart des partis politiques, même ceux issus du nationalisme panarabe, assimilationniste de nature, ont fini par se résoudre à cette position. Seuls les islamistes font encore de la résistance. Ce n’est pourtant pas une mince affaire, et il faudra la manier avec beaucoup de doigté. La reconnaissance d’une identité multiple ouvre la voie à un repositionnement stratégique, à terme salvateur, mais qui nécessite un travail de fond. Le passage du Maroc «Arabo-musulman» à la reconnaissance d’une identité beaucoup plus large est un pas historique énorme. A la condition qu’il soit porté par l’ensemble des Marocains et pas uniquement des Berbères. Dans le cas contraire, c’est la radicalisation qui nous attend, avec des discours hallucinants, qu’on entend déjà chez une frange. Assumer pleinement l’amazighité du Maroc, c’est s’inscrire dans le sens de l’histoire. La chaine télé n’est qu’un premier pas, mais dans le bon sens.