L’idée fixe du président Boutéflika

Mais que veut finalement Abdelaziz Bouteflika, le président algérien ? Pourquoi persiste-t-il dans cette attitude systématiquement hostile, c’est le moins qu’on puisse dire, à l’égard du Maroc.

La persistance de la fermeture des frontières terrestres entre les deux pays voisins et frères, de la Méditerranée au point de jonction de la délimitation entre espaces considérés comme algérien, marocain et mauritanien, en étonne plus d’un. Il n’est pas nécessaire de rappeler que le rideau a été baissé entre les deux pays de l’ouest maghrébin après que Rabat ait institué unilatéralement un visa d’entrée dans le territoire à l’endroit des Algériens, après l’attentat terroriste aveugle perpétré en été 1994 dans un hôtel marrakchi par un groupe de jeunes Français d’origine algérienne. Estimant que cette procédure a été imposée brutalement et sans concertation commune aucune entre deux pays de l’Union du Maghreb Arabe, fondée le 17 février 1989, leur réplique fut sévère.

C’était sous le règne de Hassan II et sous la présidence du général Lamine Zéroual et pratiquement rien ne devait changer dans cette situation préjudiciable et plutôt singulière lorsque les deux chefs d’Etat furent remplacés. Le premier parce qu’il fut élu à la magistrature suprême le 16 avril 1999 et le second parce qu’il hérita du trône de son père, le 23 juillet de la même année, après le décès de ce dernier, quelques mois après, sous le nom de Mohammed VI.

Ces changements à la tête des deux pays ne firent rien pour contribuer un tant soit peu à bouger les choses. Tout resta en l’état et, bien pire, l’U.M.A. entra rapidement en léthargie pour devenir un petit « machin » ennuyeux sans consistance ni dynamisme. Une coquille vide…

Par deux fois, Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika se rencontrèrent, s’entrevirent, à Rabat à l’occasion des obsèques de Hassan II, puis à Alger, lors de la tenue dans la capitale algérienne du vingt-septième sommet arabe. D’autres contacts, purement fortuits et simplement protocolaires, eurent lieu ici et là dans les couloirs de congrès ou de conclaves internationaux sans jamais donner lieu même à un frémissement dans les relations bilatérales entre Rabat et Alger.

A tous les niveaux, cela donnait systématiquement la désagréable impression de blocage sans signe sérieux précurseur d’un rapprochement entre les deux Etats : pivot du Maghreb — désuni plutôt qu’uni.

Tous les appels, solennels et autres, pour ouvrir de nouveau ces frontières, lancés au Maroc par les autorités politiques, la classe politique, la société civile et l’opinion publique, n’y firent rien et restèrent obstinément lettre morte, sans écho.

Le président Bouteflika non seulement s’entêta et persista dans cette position d’ostracisme politico-géographique, mais bien plus assaisonna son argumentaire par un surcroît artificiel de preuves de « la légitimité » de la position algérienne, consistant à affirmer vouloir protéger son pays des malfaisances en provenance de son voisin de l’ouest. Un délire marocophobique mêlant la morale, les bonnes m?urs, la contrebande à je ne sais quoi de psychologiquement brumeux. Toutefois, jamais l’actuel locataire du palais de la Mouradia n’a franchi clairement le pas pour préciser à la face des Marocains et des Etats du monde ce à quoi il veut en venir en définitive. On se prêtait à penser, fort logiquement compte tenu de ses professions de foi depuis le début de la décennie soixante-dix, que l’Algérie voyait une entrave essentielle à tout retour (mais y a-t-il eu jamais une quelconque situation de ce genre) au bon voisinage et à l’entente, à l’affaire du Sahara occidental. C’est se tromper lourdement, car ce qu’exige l’exécutif groupé comme une équipe soudée autour de Bouteflika, c’est d’obliger le Royaume à reconnaître comme définitif et gravé dans le marbre des conventions internationalement enregistrées à l’O.N.U. le tracé des frontières léguées par la France colonisatrice. Cette région, qui de tous temps a été marocaine englobant Tindouf, Bachar, Tidikelt et ce qui est occupé contre toute justice par l’Administration et l’Armée algériennes, un peu au-delà. Toutes ces contrées, Mohammed V et avec lui la presque totalité de l’élite politique marocaine n’a pas voulu en négocier l’appartenance avec la France tant que le pays frère n’aurait pas acquis sa pleine indépendance. Si Mohammed V avait décliné l’offre alléchante de Paris, à la fin de la décennie 1950, c’est en raison essentiellement que « toute négociation qui s’engagerait avec le gouvernement français (…) sera considérée comme un coup de poignard dans le dos de nos amis algériens qui combattent, et [qu’il] préfère attendre l’indépendance de l’Algérie pour poser à mes frères algériens le contentieux frontalier ». Les Marocains devront avaler, sans jamais la digérer, leur déception de voir leurs voisins, dès la première présidence celle de Ahmed Ben Bella, regimber en ne voulant aucunement ouvrir des négociations ou même des discussions informelles avec le partenaire marocain. Le Président du G.P.R.A., Ferhat Abbas n’avait-il donc signé, avec le Roi du Maroc Hassan II, le 6 juillet 1961 qu’une lettre mort-née qui stipulait que le « problème territorial posé par la délimitation imposée arbitrairement par la France entre les deux pays trouvera sa solution dans les négociations entre le gouvernement du Maroc et le gouvernement de l’Algérie indépendante ». Pourquoi le président Abdelaziz Bouteflika croit-il possible de pouvoir acculer aujourd’hui le Royaume à accepter ce qu’il a de toujours énergiquement refusé ? Est-ce parce qu’il souhaiterait apporter bientôt ce cadeau mirifique au « peuple algérien » lors de son troisième mandat qu’il croit, bien sûr, acquis et assuré ?