Le PJD s’enlise dans le bourbier communal

A quelques encablures des échéances municipales prévues en juin 2009 et qui devraient sanctionner la gestion des édiles municipaux élus en septembre 2003, les regards se tournent vers les maires PJD. Il y a cinq années environ, le paysage municipal national s’apprêtait à connaître une nouveauté… de taille. Pour la première fois depuis leur légalisation, les islamistes marocains se préparaient à régenter es qualité de grandes villes. Ainsi, Meknès, Temara, Khénifra et Ksar El kébir voient leurs destinées confiées à des responsables issus du PJD, un parti au référentiel, sans ambigüité, religieux. «S’ils ne se sont pas fait élire sur des programmes clairs, détaillés et surtout techniques, les conseillers islamistes ont battu la campagne avec des thématiques essentiellement protestataires axées sur l’identitaire et les bonnes moeurs», se rappelle encore l’un de leurs adversaires politiques de l’époque. Leur discours politique en 2003 était mâtiné d’un franc appel à plus de probité et d’intégrité. Si cela ne leur a pas permis d’effectuer une réelle percée municipale, il ne les a pas empêché de rafler quelques villes et non des moindres… Cependant cela s’est fait avec l’appui d’autres partis qui ne partagent pas avec eux le même programme ni les mêmes objectifs. «Les majorités à la tête desquelles se retrouvent les maires PJD sont hétéroclites», insiste un observateur de la chose municipale.

Aujourd’hui, à la veille du renouvellement des mairies, «le PJD se présentera aux prochaines élections avec un bilan», souligne malicieusement un élu istiqlalien rompu à la gestion municipale. En effet, le PJD ne peut plus se targuer d’une virginité immaculée. «Quand on met la main au cambouis, on se salit forcément », insiste non sans ironie notre élu. D’autant plus que les attentes soulevées par les propos de la campagne électorale ont été démesurées, par rapport aux moyens réels dont disposent dans les faits les municipalités.

Les maires PJD ont bénéficié dans un premier temps d’un a priori favorable. Les partis les craignaient, la population espérait et les cadres du ministère de tutelle… riaient sous cape. «Nous connaissions l’ampleur des difficultés d’une gestion municipale. Il ne suffit pas de psalmodier quelques versets du coran pour que le transport se remette en marche et que les ordures disparaissent des rues comme par enchantement», martèle un cadre du ministère de l’Intérieur. La gestion des villes est un exercice très compliqué et très complexe. La responsabilité municipale, et ce n’est un secret pour personne, requiert de la compétence et un savoir faire indéniable. En clair, des profils de technocrates politiciens compétents. Des profils rares à trouver et qu’on déniche difficilement, que ce soit au PJD ou encore dans les autres partis politiques.

Cela dit, malgré ces difficultés inhérentes à la gestion communale en général, les maires PJD semblent mieux s’en sortir que prévu, excepté celui de Meknès. A Temara, ville adossée à la capitale du royaume, le maire Moh Rejdali n’a pas à rougir de son mandat et ce malgré les écueils du départ. La ville a connu durant les dernières années une gestion transparente et efficace. Il faut dire aussi que l’administration territoriale représentée par le gouverneur y est pour beaucoup. A ksar El kébir, Saïd Khaïroun qui bénéficie de l’aide de 14 élus estampillés PJD, mène son petit bout de chemin… Sans défrayer la chronique.

Si les villes gérées par les islamistes ne connaissent pas des réalisations extraordinaires, elles ne sombrent pas non plus dans l’anarchie totale. C’est juste qu’elles survivent en attendant les futures échéances électorales.

Mais d’après les observateurs, ce qui manque à l’expérience des maires PJD, c’est ce label qui devrait être le leur. «Les élus du PJD ont sombré dans les sempiternelles guérillas de procédure. Ils se sont noyés dans la médiocrité ambiante, reproduisant un schéma déjà connu fait de clientélisme, cooptation et improvisation», se régale un dirigeant socialiste. A l’évidence, en matière de gestion municipale les islamistes du PJD ont du mal à faire leurs classes… Au moins pour cette première expérience. Plus encore. Personne ne peut affirmer qu’il existe aujourd’hui une méthode bien propre au PJD en matière de gestion communale. A voir les alliances construites ici et là, on s’aperçoit facilement que le PJD n’est pas différent des autres partis et que, au moment de l’élection du président, seul compte le nombre de voix favorables, fait remarquer un élu. Ceci est certainement d’une grande importance. Pour ceux qui font durer le suspense parlant d’un véritable changement si le PJD obtient le gouvernement, ils peuvent donc être rassurés. Le PJD n’est pas différent des autres partis. Sa seule différence n’est ni gestionnaire ni politique, elle est morale. Une bonne moralité peut aider parfois, mais parfois, elle n’est pas suffisante pour gérer les affaires de l’Etat. Le PJD n’a rien proposé jusqu’à maintenant en matière de solutions économiques. Il ne s’oppose ni aux privatisations, ni à la libéralisation des échanges. Il n’a pas de position contre les zones de libre échange. Que peut-il apporter d’autre ? Le bilan des communes pjidistes est plus que jamais d’actualité.

PJD, dur dur d’être maire

Le PJD comptait sur ses trois mousquetaires pour démontrer toute l’étendue de ses talents dans la gestion municipale. Dans certains cas, c’est un véritable talon d’Achille qu’il a révélé. En septembre 2003, les dirigeants du PJD savent qu’ils doivent assurer une partie de la responsabilité communale. Ils ne sont pas dupes. Ils connaissent très bien la réalité de la gestion communale : peu de moyens et beaucoup de problèmes. Mais il fallait bien répondre présent et assumer. Ils héritent alors de quatre municipalités à la tête desquelles ils s’empressent de mettre leurs hommes. Le fait qu’ils n’aient que quatre villes à gouverner devait en apparence leur faciliter la tâche. Un risque mesuré en quelque sorte. Ce fut également une tâche ardue puisque tout le monde s’est mis à scruter leur expérience. Résultat des courses : un bilan mitigé où le bon le dispute au moins bon. Sur les trois villes qui finalement sont gérées par le PJD (le maire de Khénifra Lahcen Chakira élu initialement sous la bannière islamiste a démissionné du parti), seul le maire de Témara semble s’en sortir relativement. Les autres, ceux de Meknès et de Ksar El Kébir, pataugent, même s’ils ne sont pas les pires présidents de conseils qui puissent exister au pays.

Après cette première expérience municipale, le PJD tentera de renforcer ses acquis. Il profitera certainement de l’usure que connaissent les autres partis, mais sans pouvoir exciper d’une gestion municipale irréprochable. Le PJD sera définitivement un parti comme les autres. Toutefois, il n’y a rien qui puisse distinguer une gestion pjidiste d’une autre. Le parti n’a pas dégagé une méthode propre à lui..

Qu’a fait le PJD de ses villes

Temara et Khenifra, si le PJD arrive à s’en sortir dans la première en réalisant quelques grands projets, il est mis en difficulté dans la deuxième. Certains parlent même d’échec. Le président de la municipalité de Khenifra, Lahcen Chakira, a même été débarqué du PJD. A Temara l’expérience du maire Moh Rejdali partage les acteurs politiques et civils de la ville. Temara s’est transformée en une décennie d’une simple périphérie de la capitale, à une ville satellite qui abrite plus de 350.000 habitants. Elle dispose d’une zone industrielle, de complexes touristiques. La ville connait aussi l’affluence de la nouvelle classe des fonctionnaires et cadres de l’administration, qui ont pu accéder à la propriété, loin de la flambée des prix de l’immobilier à Rabat. L’architecture sociale de la ville change aussi rapidement et les électeurs potentiels aussi. Le PJD peut facilement faire de la ville un fief électoral. Tous les ingrédients existent. Selon Mohamed Nouhi, acteur associatif à Temara et membre du conseil national du PSU, l’expérience de Moh Rejdali laisse à désirer. «Bien sûr il y a des côtés positifs mais il y a aussi des côtés négatifs ». Le plus grand défaut du maire est son inaccessibilité. Rejdali ne communique pas avec les acteurs de la société civile. C’est une mentalité chez le maire, même si l’homme est docteur d’une université britannique, avance notre interlocuteur. Le problème du relogement des habitants des bidonvilles de Temara est montré du doigt. Ce dossier a été mal géré à Douar Lghaba, Douar Sahraoui et Douar Sidi Lamine. 9 personnes originaires de ces douars sont en état d’arrestation actuellement après avoir protest contre leur relogement, insiste la section du CMDH (Centre marocain des droits de l’homme) de Temara. Il n y a quasiment pas de structure sociale parallèle dans l’endroit où ces habitants ont été relogés. Les habitants des bidonvilles ne peuvent plus payer les logements puisque leur commerce a justement souffert de l’opération de relogement, avance Mohamed Nouhi Selon une source proche du maire, la ville de Temara connait le plus grand nombre de bidonvilles au Maroc. Le projet Annacer et le Projet Mers El Kheir ont été conçus pour faire face à cette situation. En mars 2008, la commune urbaine de Témara et CDG développement ont signé les statuts et le pacte d’actionnaires de la société Témara Développement. Dotée d’un capital de 40 millions de dirhams, cette société anonyme est dédiée au développement de la commune. Elle se charge de la conception et la réalisation des projets d’équipements, d’infrastructures d’aménagement et de renouvellement urbain. Si le projet est un acquis pour la ville, les mecontents de la gestion de Rejdali avancent qu’en dépit de la bonne intention, le dossier des bidonvilles a été mal géré.

Autre critique, le transfert du marché de Temara vers l’extérieur de la ville. Cette décision a eu pour effet une baisse de l’affluence des clients. Plusieurs quartiers de la ville n’ont pas de noms de rues ou d’avenues, ce qui engendre un grand problème d’adresses postales, malgré les incessantes demandes des associations de quartiers. Pire encore, le manque d’adresses touche l’administration fiscale puisqu’elle ne peut pas communiquer avec les redevables.

Déboires

Le maire est surtout montré du doigt pour son mode de gestion clientéliste. Ce qui se reflète même dans le revêtement des rues. Les quartiers où les électeurs du maire sont majoritaires sont bien entretenus, alors que les autres sont laissés à l’abandon. Le problème le plus frappant aussi est celui du conservatoire de musique, qui existait depuis une dizaine d’années. Au moment où cet établissement devait être soutenu et subventionnée, la municipalité de Temara commence à exiger à tous ceux qui veulent organiser une activité au conservatoire de payer la location de la salle, nous dit un observateur de la politique de Témara. Les enseignants du conservatoire n’ont pas été payés depuis une année. «On se demande si le maire a dans son programme politique une position contre la musique et la danse» avance Mohamed Nouhi. En octobre, les habitants ont organisé un sit-in pour protester contre l’octroi d’une licence d’alcool à une superette dans un quartier de la ville. Le plus contradictoire dans la politique du maire est l’octroi de licences d’alcool à des magasins qui sont censés être des épiceries mais qui se transforment du jour au lendemain en débit de boissons alcoolisées, observe un membre du CMDH qui avait appelé au sitin. Le PJD détient la majorité grâce à la complicité de quelques conseillers de divers partis, parmi eux l’Istiqlal qui se trouve divisé en deux camps. Une partie avec Rejdali et une autre dans l’opposition. Quant à l’USFP, il est dans l’opposition depuis le début du mandat du maire PJD. Malgré toutes ces critiques, la ville de Temara est un grand chantier. Un important travail a été fait au niveau de la collecte des déchets ménagers et de la propreté qui a été confiée à une société privée. Si les critiques ne manquent pas c’est qu’en matière politique, tous les coups sont permis. L’homme a même été accusé quelques mois avant les élections législatives de 2007 de détournement de deniers publics. La ville de Temara est parmi les rares villes qui font partie du programme de la mise à niveau urbaine. Le problème du transport urbain est considéré comme le parent pauvre de la gestion de Moh Rejdlai. Le futur tramway de Rabat s’arrêtera à Hay Riad et ne desservira donc pas Témara. Les trains navettes entre Rabat et Casablanca ne s’arrêtent pas régulièrement à la gare. Une situation qui irrite les habitants de Temara qui font la navette entre les deux villes.

L’homme par qui le scandale arrive

Dans la ville de Khenifra, le paysage n’est pas aussi prometteur que Temara. La ville connaît beaucoup de problèmes. Selon Aziz Akkaoui, ex président de la section de l’AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) de Khenifra et acteur associatif , «depuis deux ans, les citoyens n’arrivent plus à rencontrer le président du conseil, même le courrier lui est acheminé à son domicile». Lahcen Chakira, enseignant qui avait bénéficié du DVD a été derrière une sortie médiatique très controversée en 2005 dans les colonnes d’un hebdomadaire de Casablanca. Alors qu’il était président PJD du Conseil, il aurait déclaré que la prostitution dans la ville de Khénifra avait une origine «historique». Selon une source locale, l’homme a été débarqué du PJD suite à plusieurs mésaventures, cette déclaration n’étent pas pour arranger son cas. Actuellement Lahcen Chakira est membre du PAM. En fait, il s’était réfugié au parti Initiative citoyenne qui entre temps avait fusionné avec le Parti Authenticité et Modernité. Selon Aziz Akkaoui, même au niveau des petits chantiers de la ville, comme la propreté et le revêtement de la chaussée, rien n’a été fait depuis le début du mandat du président actuel. Dernièrement, des aides alimentaires ont été distribuées, mais comme chaque fois à l’approche des élections cette opération est exploitée à des fins électorales et non humanitaires. L’urbanisme aussi regorge de problèmes ce qui a donné lieu à une commission d’inspection du ministère de l’Intérieur venue enquêter au sujet des autorisations de construction.

Découpage électorale

Le conseil de la ville de Khenifra se compose de 31 conseillers dont 4 du PJD et 4 du PSU. Grâce à une alliance entre le PJD et le PSU, le FFD et 1 conseiller USFP, le PJD avait eu la présidence du conseil municipal. Après quelques mois l’alliance s’est craquelée. Les intérêts des entrepreneurs qui bénéficient de projets de la municipalité, ont créé le désaccord au sein du conseil, avance Aziz Akkaoui. Il y a quelques semaines des élèves ont manifesté pour protester contre la vétusté des établissements scolaires, mais aucun responsable communal ne s’est déplacé déplore notre source. Ce n’est pas encore fini. Le dernier découpage électoral à fait passer le nombre de conseillers de 31 à 37 ce qui ne va certainement pas résoudre le problème des alliances.

Mais loin de ce schéma politique, la ville de Khenifra connaît une dure réalité liée au manque de ressources budgétaires. Selon Mohamed Mansouri président du conseil provincial de Khenifra, «la ville n’a de ressources que la forêt et l’agriculture et cette dernière est en régression. Cependant, il n’y a pas d’activité industrielle qui puisse générer des recettes. Au niveau des projet d’infrastructure, l’Etat oblige les communes à un partenariat pour le financement alors que la commune n’a pas les ressource nécessaires». Une réalité bien amère qui handicape le travail du Conseil communal qu’il soit de droite ou de gauche. Mais de tous ces problèmes, le point noir de la municipalité de Khénifa, reste la collecte des ordures. Celles- ci sont déversées dans le site naturel d’Aguelmousse, causant un grave préjudice à l’environnement. Les ONGs environnementales voient rouge.