Gouvernement – Le remaniement s’impose

Ahmed Charai

Après avoir sondé l’Union constitutionnelle, le Premier ministre a établi des contacts précis avec le Mouvement populaire. D’un autre côté, et pour des raisons tactiques, visant essentiellement à pérenniser son mariage avec l’USFP, le PJD propose son soutien critique.

Si ces mouvements existent, c’est que numériquement le cabinet El Fassi est minoritaire dans les deux chambres et qu’il risque donc de devoir négocier en vue des législatives.

Mais, politiquement, la situation est dramatique. Nous sortons d’élections où la majorité s’est férocement déchirée.

Elle n’a même pas fonctionné pour sauver la tête de ministres qui briguaient des présidences. Seul l’inamovible Abdelouahed Radi y est arrivé. Le couple USFP-Istiqlal s’est affronté sur les présidences des circonscriptions. Nous sommes face à un délitement total.

Ce gouvernement a échoué à faire passer le code de la route après deux tentatives. Il ne tient pas parole sur le front du dialogue social, ce qui promet une rentrée chaude. Les départements travaillent sans cohésion, au point que Nezha Skalli et Jamal Aghmami ont adressé deux projets de loi différents sur le même thème, l’emploi des enfants, au secrétariat général. Lutte de prérogatives ? Oui, mais surtout lutte autour des financements étrangers liés à ce dossier.

Quel changement ?

L’image du Premier ministre est fortement écornée, à tort ou à raison, dans la presse. Les dissensions sont portées sur la place publique et le constat est unanime : le gouvernement est faible, n’a pas l’adhésion populaire et n’a pas pris d’initiatives lui permettant d’en avoir. Or le Maroc va faire face à de nombreux défis. La crise montre tous ses effets. Le tourisme et l’habitat annoncent déjà un recul important, le chômage va remonter au-dessus de la barre de 10%. Les élections communales ont dégoûté, il n’y a pas d’autre mot, les observateurs. Il faut un changement. Oui, mais lequel ? Un changement technique n’aurait que peu de portée politique.

Tout plaide pour que le changement soit radical avec la constitution d’une nouvelle majorité cohérente, le départ des personnalités dont la compétence est plus que contestée et la redéfinition des priorités.

Toute autre attitude reviendrait à s’accommoder d’un gouvernement transparent, sans attache avec l’opinion publique. Cela déconsidèrerait les institutions marocaines et handicaperait l’avenir.

Abbas El Fassi, par réalisme politique, devrait tirer les conclusions qui s’imposent et ouvrir la voie à un gouvernement d’espoir.

Remaniement gouvernemental
Une valse à deux temps

Mohamed Semlali

Ce n’est apparemment qu’une question de jours. Le principe du remaniement semble acquis. Le Premier ministre en exercice, affaibli par le retrait du Parti authenticité et modernité (PAM) et par les péripéties qui ont accompagné les élections communales, a besoin d’un sérieux coup de lifting qui redonnerait du punch à son équipe. Depuis sa constitution en octobre 2007, le gouvernement, dirigé par le secrétaire général de l’Istiqlal, soufrait de plusieurs «maux congénitaux». Aboutissement d’un montage politique hybride et approximatif, l’équipe de Abbas El Fassi ne reçoit pas un accueil favorable de la part de l’opinion publique nationale. La presse et les observateurs n’hésitent pas à la qualifier de «gouvernement le plus faible» depuis l’indépendance. Un jugement certes dur, mais qui ne devait pas tarder à se confirmer.

Desservi par une conjoncture économique défavorable, Abbas El Fassi et ses ministres se voient reprocher un manque de créativité. Les erreurs s’accumulent et le manque d’harmonie est flagrant. Les sorties médiatiques de certains membres de son équipe devraient rester dans les annales. D’ailleurs le premier coup que le secrétaire général de l’Istiqlal encaisse est la révocation par le souverain d’Ahmed Lakhrif, estampillé Istiqlal, du secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères. Les mauvaises nouvelles allaient se succéder pour le premier ministre. Nizar Baraka a fort à faire avec la Caisse de compensation et Karim Ghellab s’empale sur le projet du code de la route qui vire au pugilat sanglant entre les syndicats et le gouvernement. Et pour ne rien arranger, l’USFP traîne le pas et adopte la position confortable de «soutien critique». L’Idée du remaniement apparait alors dans un premier temps comme un moyen de purger le gouvernement des socialistes et renforcer la représentation du PAM. Abbas El Fassi fait les yeux doux aux amis d’El Himma, mais ceux-ci ont leur propre agenda politique. Ils n’ont pas envie de s’embarquer pleinement dans une aventure plus qu’incertaine. D’ailleurs, à l’approche des élections, le leader naturel du PAM, Fouad Ali El Himma monte au créneau et muscle ses discours. Toute la politique du gouvernement y passe et certains ministres sont nommément cités comme étant des freins à ce Maroc qui avance. Le PAM souffle plus le chaud que le froid. Chakib Benmoussa, le ministre de l’Intérieur et Aziz Akhennouch, le ministre de l’Agriculture, trinquent… En silence. L’image du gouvernement est fortement écornée. La crise dont est victime Touria Jabrane, ministre de la Culture, renforce l’idée chez l’opinion publique que ce gouvernement ne peut aller jusqu’au bout de son mandat.

L’événement qui survint la vielle de la campagne électorale est un véritable coup de grâce asséné par le PAM à l’équipe El Fassi. Un communiqué du nouveau parti annonce qu’il quitte le gouvernement. Malgré un coup de fil royal rassurant, le gouvernement est constitutionnellement sans majorité et donc politiquement sur la sellette. Personne n’empêcherait l’opposition d’enclencher une motion de censure et d’en finir avec. Mais l’imminence des élections sauve le Premier ministre.

Le capharnaüm qui suit l’annonce des résultats et la guerre qui sévit entre les partis pour le contrôle des villes est une chance pour l’Istiqlal, d’autant plus que le PAM, véritable vainqueur des élections communales, ne montre aucun empressement à s’emparer du pouvoir. Il va même jusqu’à geler la participation du ministre de l’Education nationale Ahmed Akhchichen, pourtant pièce maitresse du système El Himma, dans les instances du parti. Authenticité et modernité joue le pourrissement et veut cueillir le fruit quand il sera mûr… En 2012.

Imminence

En attendant, la raison d’Etat prime. Les affaires doivent continuer à bien tourner et les chantiers ne doivent pas souffrir des méfaits de la politique politicienne, d’où la nécessité d’un remaniement qui se déroulerait sur deux étapes. La première aura lieu incessamment en ayant pour but de doter le gouvernement d’une assise parlementaire confortable. C’est dans cet objectif que Abbas El Fassi a contacté la direction du Mouvement populaire qui n’a jamais compris pourquoi elle s’est retrouvée au lendemain des élections législatives éjectée du gouvernement. Le MP semble avoir donné son accord pour apporter son soutien à l’équipe du Premier ministre en contrepartie d’une participation symbolique aux affaires.

Dans un deuxième temps, probablement en automne, un autre remaniement plus large devrait intervenir. Cette fois-ci, le chamboulement toucherait plusieurs départements dont les titulaires n’ont pas donné satisfaction ou qui doivent se consacrer à d’autres tâches. Ainsi, plusieurs noms de ministres qui seraient partants reviennent dans les conversations. Touria Jabrane qui ne se remet pas de sa crise de santé est largement mentionnée. Ahmed Akhchichen devrait être libéré pour rejoindre son parti dans les rangs de l’opposition. Nawal El Motawakil partirait aussi parce qu’en fin de compte, on s’est rendu compte qu’elle n’avait pas assez de temps à consacrer au gouvernement. Chakib Benmoussa, de son côté pourrait être appelé à d’autres fonctions. Les critiques n’ont pas été tendres concernant «les hésitations du ministère de l’Intérieur dans la gestion des dernières élections».

Ce qui est sûr c’est que le remaniement s’impose aujourd’hui. Qu’il soit d’une grande ampleur du premier coup ou qu’il se fasse en deux temps, il n’apportera que plus de clarté et de vigueur à une équipe qui, selon plusieurs observateurs, n’a pas donné satisfaction. Néanmoins, ce qui ressort des indiscrétions, c’est que l’option El Fassi serait maintenue jusqu’à la fin de la législature.