ahmed charaï
Cela aurait pu n’être qu’une péripétie sans conséquence. Mais le contexte et la nature des protagonistes en font un événement important. Le contexte est celui de la succession de My Hafid Elalamy, un président de consensus, qui a été candidat unique avec pour objectif de repositionner la CGEM. N’oublions pas que la fin du deuxième mandat de Hassan Chami avait été houleuse, marquée par des rapports très tendus avec les pouvoirs publics.
Le mélodrame actuel efface tous les efforts fourmis durant le mandat de H. Elalamy. La CGEM ne peut jouer son rôle si son exécutif ne jouit d’aucune légitimité démocratique, or c’est le cas, quelle que soit l’Issue du vote du 21 mai. La CGEM est une organisation importante dans le paysage institutionnel national. Elle est supposée être un partenaire de choix pour les pouvoirs publics, mais aussi pour les syndicats. La défense des intérêts du patronat est indissociable d’une vision macro-économique liée au développement. Depuis l’ère Lahjouji, la CGEM a tenté de jouer ce rôle avec plus ou moins de bonheur. On peut lui reconnaître qu’elle a dépassé la simple fonction de lobbying pour devenir une organisation qui compte et qui, n’en déplaise à ses détracteurs, évolue vers une vision citoyenne de l’entreprise. La CGEM avait et a toujours un talon d’Achille, sa faible représentativité chez les PME. Mais les entreprises des secteurs modernes sont toutes membres de l’organisation patronale, et de ce fait, une structure fort respectable.
C’est un véritable atout pour réussir les reformes, car elle produit des idées, peut valider ou infirmer celles des politiques, diffuse une conception moderne de l’entreprenariat et reflète largement l’opinion des grands patrons. L’atteinte à la crédibilité de cet outil ne peut qu’entacher le processus de réforme dans sa globalité. Or le psychodrame électoral porte atteinte à cette crédibilité de deux manières. En affirmant que l’ONA peut imposer ses vues à la CGEM, le binôme Chaïbi-Alaoui fait de l’organisation patronale un simple appendice de l’Etat et non un partenaire.
Remarquons que le holding aurait soutenu Debbagh contre Hassan Chami, ce qui n’a pas empêché ce dernier de l’emporter. Enfin, ces turbulences affaiblissent l’exécutif à venir, non seulement devant l’opinion publique mais surtout face au gouvernement. Il faut que cette situation soit réglée au plus vite pour que la CGEM retrouve son rang, sa crédibilité, les gages de son efficience.
Tempête dans une tasse de thé
hakim arif
C’est un moment fort à lire au premier et deuxième degrés. Les hésitations actuelles sont tout à fait révélatrices des lectures diverses et parfois divergentes du rôle du patronat dans le paysage institutionnel marocain. Des questions sont toujours posées, portant sur le niveau d’indépendance par rapport aux autres pouvoirs, sur le niveau d’autonomie de réflexion et de la force de proposition… Quoi qu’il en soit, notre source est convaincue qu’il s’agit d’une phase de maturation, caractérisée par une alternance de périodes de tension et de confrontation d’une part, et de conciliation et de complicité d’autre part. Notre source se pose encore une autre question : S’agit-il d’un patronat ou d’un fusible ? Ce qui en dit long sur la probable instrumentalisation de l’organisation. Toutes ces données expliquent ce qui s’est passé. Il y a eu un premier binôme «de continuité» qui s’est assez rapidement révélé peu convaincant, ce qui a exigé la confection d’un deuxième binôme pour non pas la continuité, mais l’alternance que notre source met entre guillemets. On peut alors se poser la question de savoir si les problèmes de la CGEM sont inhérents à sa composition. Elle est censée défendre les intérêts de toutes les entreprises marocaines. Soit ! Or cette population est très diversifiée. Elle va de la PME de 10 employés jusqu’au grand groupe qui gère des dizaines de milliers de salariés. Dès lors, on peut penser que la CGEM constitue un terrain de confrontation entre les deux catégories. Ce qui peut effectivement être vrai. Les grands groupes, soutient un patron, «ont été légitimement mis à contribution financièrement, ce qui a pu se faire au détriment de l’implication des PME». C’est la perception actuelle en tout cas. Par ailleurs, le manque d’intérêt, ou peut-être le sentiment d’abandon, a augmenté le taux d’absentéisme parce que «le gros de la troupe a été démobilisé» explique ce même patron. Moralité de l’histoire : «on récolte ce qu’on sème». La situation n’est pas claire pour autant. Il nous faudra toujours rechercher les raisons de cet imbroglio. Déjà, notre source demeure convaincue qu’il «y a eu clairement interférence de pouvoirs tiers et d’arbitrages très partiaux et mal inspirés» car, ajoute-t-il, mal informés sur les véritables enjeux. Aussi simple que cela. Il y a là assez d’éléments pour comprendre, mais encore de loin, ce qui se passe et, de la même façon, ces mouvements autour de l’élection à la présidence de la CGEM. On en est aujourd’hui à fouiller si telle ou telle candidature est valable et si non comment procéder par la suite. Le premier binôme menace de se désister. S’il met à exécution sa menace, il mettra dans l’embarras son rival. Pour la simple raison que ce dernier a présenté sa candidature pour justement éviter la candidature unique (légitime réclamation). Par conséquent, le désistement du premier binôme devrait en fait entraîner celui de l’autre, nous explique un patron bien au fait des enjeux. Pour lui, qui a «survécu à plusieurs présidences», les informations qui nous arrivent par voie de presse ne permettent pas d’avoir une véritable idée sur la question. Le fait d’impliquer la volonté royale dans cette élection a beaucoup nui au processus. «D’ailleurs, rien dans les faits ne permet de l’affirmer. Aucune personnalité proche du roi ne s’est exprimée, ni directement ni indirectement» souligne notre interlocuteur. Pourquoi dans ce cas en faire état ? «C’est une élection et, comme dans toute élection, il peut y avoir des coups en dessous de la ceinture», explique un consultant.
Des patrons démocrates
h. A
Quelle est l’importance exacte du président de la CGEM ? Que vaut son élection ? On a l’impression qu’il s’agit d’une mission des plus dangereuses tant les protagonistes se protègent dans une sorte de mutisme incompréhensible. Personne ne veut parler comme s’il s’agissait d’une affaire périlleuse. Mais qui dirige tout cela ? Les journalistes de l’Observateur du Maroc ont passé un temps fou à chercher des explications auprès du président sortant, auprès du candidat qui s’est désisté, Mohamed Chaïbi. Motus et bouche cousue, les concernés sont toujours injoignables. Et quand on arrive enfin à les attraper, ils promettent de répondre dans une heure ou deux ou dans l’après midi. Et commence alors le jeu du chat et de la souris. Tout de même la CGEM n’est pas la DGED, ni la DST non plus ! Ce n’est qu’une organisation professionnelle comme toutes les autres. Il est plus probable que le fil qui tenait encore la CGEM commence à craquer à l’heure actuelle. De grandes entreprises menacent de quitter la confédération si elle persiste à organiser des élections à candidat unique. Candidat unique ? Mais parmi tous ces patrons qui nous expliquent chaque jour avec force communiqués et communications qu’ils sont de très bons patrons, n’y a-t-il pas plus qu’un qui puisse diriger la CGEM ? Sont-ils tous des incapables ? C’est en tout cas ce qu’on peut déduire de ce grand bourbier dans lequel patauge l’organisation. Tout le monde sait qu’elle n’a jamais été vraiment démocratique. Alors pourquoi s’en offusquer maintenant ? Les hommes d’affaires font le même jeu des hommes politiques. Au Maroc, ils ont trop pris l’habitude d’applaudir au candidat “du consensus”. Ils ont toujours attendu les désignations. Aujourd’hui, la difficulté vient du fait que le mode de gouvernance a changé et que les directives ne sont plus de mise. Le patronat n’a plus d’ordre à recevoir de personne. Néanmoins, il ne le sait pas encore et quand bien même il le saurait, il ne pourrait encore réaliser qu’il était vraiment libre de ses actes. Le processus d’apprentissage a commencé. Tant pis pour la démocratie !
Mohamed Horani Héros malgré lui
L’homme est affable, sérieux et a l’air d’un premier de classe. Depuis qu’il a créé HPS, l’homme vole de succès en succès. Il a gravi tous les échelons, petit à petit. Il connait l’entreprise marocaine, les entraves qui se dressent devant elle et les difficultés qui l’empêchent de prospérer. D’après un de ses collaborateurs, c’est un patron qui a les pieds sur terre et qui ne ménage pas ses efforts pour promouvoir le Maroc et les compétences marocaines. Enfin, il pourrait être l’oiseau rare qui permettra à la CGEM de prendre de la hauteur et de mieux représenter le tissu économique national. Si Mohamed Horani dirige aujourd’hui une multinationale prospère qui génère de la valeur ajoutée et donne une image très positive du Maroc dans un domaine sur lequel le royaume ambitionne de se positionner, il n’en demeure pas moins proche des soucis des PME. De là à dire que l’homme ratisse large, il n’y a qu’un pas que les supporters inconditionnels de Horani n’hésitent pas à franchir.
Mohamed Chaïbi Un bon patron dans une mauvaise structure
Mohamed Chaïbi est salué pour ses capacités d’écoutes et ses compétences reconnues. Le patron de Ciments du Maroc a le profil du patron idéal. D’après les statuts de la CGEM, il fait bien l’affaire, mais politiquement, il serait intenable que Mohamed Chaïbi puisse négocier par exemple avec les Italiens alors qu’il est salarié de l’une de leurs grosses sociétés. Beaucoup n’hésitent pas à dire que c’est le bon candidat pour la présidence de la CGEM sauf qu’ils regrettent que l’homme soit patron d’une filiale d’une multinationale. Un défaut rédhibitoire.
Elections CGEM
La guerre des tranchées
Mohamed semlali
« Le patronat marocain vient de perdre toute crédibilité», n’hésite pas à s’insurger cet ancien membre du bureau de la CGEM. Les derniers développements rocambolesques qu’a connus la course pour la succession de Moulay Hafid Elalalmy n’ont laissé personne de marbre. Les commentaires acerbes fusent comme des coups de canon dans les salons casablancais de la vallée d’Anfa. Les patrons goûtent peu à cette «incursion makhzenienne» à la hussarde. Rappelons les faits. Au début, Moulay Hafid Elalamy, président en exercice de la CGEM, annonce qu’il renonce à briguer un deuxième mandat à la tête du syndicat patronal. Cela dit, il ne renonce pas à adouber son successeur. Il suscite alors une candidature «politiquement correcte». Le binôme Chaïbi-Alaoui se constitue et commence à faire campagne. Le tout sous l’œil bienveillant de H. Elalamy. Les deux hommes ont travaillé avec lui et ne cachent pas qu’ils bénéficient de son appui. Chez les patrons, on fait la moue. La candidature unique ne soulève pas l’enthousiasme et certains vont jusqu’à soupçonner Elalamy de vouloir garder la main sur la CGEM et de tirer les ficelles. On cherche à droite et à gauche d’autres candidats d’autant plus que Mohamed Chaïbi dirige Ciments du Maroc, filiale d’Italcimenti. Comment peut-on avoir un patron des patrons salarié chez un industriel étranger ? Se demandent plusieurs chefs d’entreprises. Beaucoup de patrons ne verraient pas d’un mauvais ?il l’apparition d’une autre candidature, même si tout laissait supposer que le ticket Chaïbi-Alaoui était celui du Makhzen officiel.
Mais, c’est mal connaître les arcanes du système de prise de décision du Makhzen. Alertés par cette situation où le patron des patrons peut finalement être un «salarié de l’étranger », les dirigeants de l’ONA réagissent rapidement et poussent à la constitution d’un ticket Horani-Tamer. «Les deux hommes jouissent d’un véritable crédit-sympathie au sein des patrons marocains et ont réussi à hisser leurs petits projets au rang de grandes entreprises marocaines structurées et modernes» disent leurs supporters. On se dirige alors vers une confrontation entre deux candidatures radicalement différentes. Un couac cependant vient assombrir l’horizon d’une élection qui s’annonçait passionnante. Un article du règlement interne de la CGEM insiste sur le fait que les candidats à la présidence doivent diriger des entreprises qui ont cotisé depuis trois ans en tant qu’entreprises. Ce n’est pas le cas pour Mohamed Horani et Mohamed Tamer qui dirigent respectivement HPS et Bogart. Leurs entreprises ne cotisaient qu’à travers leur fédération à savoir l’APEBI et l’AMITH. Exit donc le binôme Horani-Tamer. L’ONA ne l’entendait pas de cette oreille. 48 heures avant l’expiration du délai de dépôt de candidature, les deux patrons sont nommés administrateurs de deux filiales de l’ONA. Coup de théâtre. Le label Makhzen change de camp en l’espace d’une journée. Le stratagème de l’ONA ne remporte pas l’adhésion. Les rumeurs les plus folles courent les salons casablancais. «Guerre fratricide au sein du Makhzen», «coup d’Etat contre la légalité». Tous les qualificatifs sont de ressorties pour dénoncer la manœuvre de l’ONA. Dans un ultime retournement de situation, Chaïbi et Alaoui se retirent de la course. Ils savent qu’ils n’ont aucune chance face au rouleau compresseur ONA. «Personne n’a envie de se mettre en face de Mounir Majidi», avoue un industriel casablancais. La messe semble dite, mais le retrait de Chaïbi-Alaoui jette le discrédit sur la CGEM et sur les méthodes de l’ONA.
«La candidature de Horani et de Tamer était à l’origine une bonne chose. Les deux hommes sont respectés par les autres patrons. Ce sont des chefs d’entreprises qui ont réussi sans se compromettre. Ils feront un bon binôme pour diriger la CGEM. Cela dit, la manière très maladroite dont cela a été fait va laisser des cicatrices», juge un ancien candidat à la présidence de la CGEM. Il est vrai que les méthodes utilisées par l’ONA ont jeté un froid au sein de la communauté des affaires.
Plusieurs observateurs se demandent pourquoi ne pas avoir préparé la candidature de Horani-Tamer depuis des années. «La précipitation et la maladresse qui ont caractérisé le comportement de l’ONA ont froissé les chefs d’entreprises affiliés à la CGEM et ont démontré encore une fois que nous sommes encore loin du respect du formalisme juridique», conclut l’ex candidat.
Gouvernance
Crise de démocratie
F-Z. JDILY
Le tandem Mohamed Horani, P-dg de High-Tech payment systems et Mohamed Tamer, président de l’AMITH, est seul sur la piste. Par contre, Mohamed Chaïbi et Youssef Alaoui, le tandem qui a été le premier à annoncer sa candidature pour diriger la CGEM, se sont retirés de la course. Mohammed Chraïbi, le président de Ciments du Maroc, refuse de donner des explications et s’abstient de tout commentaire à la presse. Contacté à Alger où il participe au forum des hommes d’affaires maghrébins, Moulay Hafid Elalamy, le président sortant, déclare qu’il suit les rebondissements que connaît le processus devant aboutir à l’élection de son successeur, mais il ne veut risquer aucun commentaire.
De son côté Mouatassim Belghazi, Président de l’ONA, commence par une mise au point utile : « je vous prie de noter que vos questions ne soulèvent aucun commentaire du Groupe ONA». Voilà qui est fait. «Toutefois, souligne-t-il, ONA, comme tout autre groupe privé marocain, suit de près le processus de l’élection du président et du vice-président de la CGEM». C’est tout à fait normal. Il y aura certainement des préférences en cas de candidatures multiples et, cette fois, le patron de l’ONA tient à préciser que son groupe « apportera ses voix à ceux et celles qui s’engagent avec le plus d’efficacité et de sérénité dans le développement de l’entreprise marocaine et de l’économie de notre pays». Face à ce flou, Hammad Kassal s’exprime ouvertement: «C’est vraiment dommage que la CGEM en arrive là», déplore-t-il. Aux yeux du membre sortant de la CGEM, «le plus grand perdant dans cette affaire est la CGEM que l’on croyait immunisée contre tous les clivages. Avec des candidatures multiples, on a juste voulu éviter à la CGEM de vivre une deuxième mascarade avec une candidature unique». Le week-end a été mis à profit par l’ex-vice président pour convaincre le tandem sortant à revenir sur sa décision. «Normalement, la légitimité d’un candidat se puise dans les urnes et Chaibi et Alaoui auraient dû aller jusqu’au bout et se battre», fait-il remarquer. Il semble que la candidature unique, dépourvue d’enjeux, est devenue une coutume. Est-ce le nouveau système de candidature qui est à l’origine de cette situation ? Le contrôle du fisc à la vielle de l’élection à la présidence fait-il aussi peur aux candidats potentiels ?
Quel programme ?
La CGEM est confrontée à un grand défi en tant que porte-parole des entreprises marocaines. Dès lors, sa force de proposition est d’une importance primordiale dans la conception et la mise en œuvre des mesures qui s’imposent en partenariat avec les pouvoirs publics. Pour relever ce challenge, un fauteuil importe peu.