L’Armée un enjeu stratégique

Ahmed charai

Contre qui s’arme le Maroc? La question est pernicieuse et pourtant il se trouvera toujours quelqu’un pour la poser. En fait, le Maroc n’a aucune intention de faire la guerre à l’Algérie, malgré l’inimitié affichée du voisin de l’Est, ni à l’Espagne, tout en continuant à revendiquer la marocanité de Sebta et Mellilia.

L’armée marocaine a d’autres enjeux. Le premier concerne les menaces venues du Sahel, qui ne concernent pas uniquement le Royaume, mais la paix dans l’ensemble de la région. Ce n’est pas par expansionnisme que Rabat prend ses responsabilités, mais parce que sans l’effort et la vigilance des FAR, la sécurité de tous est menacée. Le second enjeu est la lutte contre les trafics divers, au sud et au nord de notre territoire. L’émigration et la drogue, sont des phénomènes transnationaux que la position géographique du Maroc nous impose. Les reculs constatés de ces phénomènes, salués comme il se doit par l’Union européenne, sont dûs, en grande partie à l’implication de l’armée.

Le nouveau droit international, avec le devoir d’ingérence, oblige le Maroc, pour garder son rang, à entretenir une armée capable d’assurer des missions de maintien de la paix.

Bien évidemment, tant que la tension sera artificiellement maintenue par le Polisario et l’Algérie, tant qu’une solution politique n’est pas entérinée, la défense de l’intégrité territoriale restera la première mission des FAR.

Tous ces enjeux ainsi que les évolutions technologiques rendent nécessaires les investissements programmés. La formation, elle, est au top niveau depuis toujours, grâce à des structures ultra-performantes et à des relations internationales très développées.

Soutien populaire

Le budget des armées n’est pas discuté au Parlement. Cela peut paraître une contradiction démocratique. Seulement, il faut se rappeler que cet accord consensuel a eu lieu en 1977. La guerre du Sahara battait son plein. Ce qui est un attribut de la démocratie en temps de paix, discuter le budget des armées, était perçu comme un luxe en temps de guerre. Les partis de l’opposition d’alors en ont fait le symbole de l’union sacrée, autour de la question de l’intégrité territoriale.

L’appui politique et le soutien de l’armée n’était pas acquis. L’image de l’armée a été écornée durant les années 60 et le début des années 70, par son intrusion en politique. Les deux tentatives de coup d’Etat bien sûr, mais aussi les interventions en Afrique au profit de l’Occident étaient très mal perçues. C’est surtout l’utilisation de l’armée, dans des opérations de maintien de l’ordre, comme en Mars 65, qui avaient creusé le fossé entre la population et l’armée.

Sa participation, plus qu’honorable, à la guerre de 1973 et la guerre du Sahara ont enterré cette époque. Aujourd’hui, la modernisation de l’armée et les fonds qui lui sont alloués sont favorablement perçus par de larges couches de la société. Sauf que cette modernisation implique que l’armée soit à jamais tenue éloignée des opérations de police et qu’elle n’aurait jamais à affronter ses propres concitoyens. Cet aspect là est plus important que l’armement high-tech. Les responsables l’ont d’ailleurs bien compris et c’est pour cela que le consensus est maintenu.

Comment le Maroc renforce son armée

Depuis trois ans, l’armée marocaine n’est plus un mythe ni un secret pour personne. En célébrant son cinquantième anniversaire en 2006, la grande muette a finalement parlé. Elle a ouvert ses casernes, affiché ses compétences et montré son matériel et, depuis, c’est tout un processus de démythification qui s’opère dans l’opinion publique marocaine avec beaucoup d’excès et peu de rigueur. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir les généraux des Forces armées royales faire la Une des journaux. Il n’est également pas rare d’entendre parler de vols d’armes dans les casernes et d’infiltrations islamistes dans les rangs.

Un autre facteur a remis l’intérêt pour l’armée au goût du jour dans la presse et chez le citoyen. C’est la course à l’armement dans laquelle s’est lancé le voisin algérien qui multiplie les achats de matériel militaire à coup de dizaines de milliards de dollars. Il faut reconnaître que le Maroc constitue depuis l’indépendance dans l’imaginaire populaire algérien «l’ennemi» par excellence. D’un autre côté, toute acquisition de chars, d’avions ou d’hélicoptères par l’Algérie relayée par les médias, est perçue par les Marocains comme une menace, voire une agression. Depuis, les forums sur l’armée font florès et on y trouve de tout. Commentaires avisés. Surenchères chauvines. Intox et manipulations. Impossible donc de faire la part des choses et de séparer le bon grain de l’ivraie.

Histoire très récente de l’armée marocaine

HAKIM ARIF

Les soldats marocains ont combattu lors de la guerre des sables en 1963, puis sur le front du Golan en 1973, et sauvé le régime zaïrois en 1977. Ils se sont illustrés lors des affrontements avec le Polisario, et surveillent le mur marocain de protection. En 1991, ils ont participé à la guerre du Golfe. Ils sont également intervenus en Somalie en 1993 et au Kosovo en 1999. Le 14 juillet 1999, les Forces armées royales paradaient sur les Champs-?lysées, chose exceptionnelle pour une armée non française. Cadeau du président Jacques Chirac a son ami Hassan II. Aujourd’hui, les troupes marocaines participent aux missions de paix (MONUC, ONUCI, EUFOR, KFOR…). L’armée marocaine a violemment sévi dans le Rif en 1958. Les Rifains n’ont pas oublié. A l’époque, la répression qui s’est abattue sur la zone avait pour principaux acteurs des militaires, tous issus de la période coloniale, nous explique Ilias Omari, président de l’Association rifaine de développement. Pour lui, la répression était un relent de la période coloniale où la France et l’Espagne avaient sévi. Les relations entre la population et l’armée étaient donc similaires aux relations avec les colonisateurs français et espagnols.

?mancipée du pouvoir

L’armée était en quelque sorte émancipée du pouvoir politique. Selon Ilias El Omari, la monarchie était en phase de consolidation face aux pouvoirs en place, ceux du parti de l’Istiqlal et ceux de l’armée. Il y avait pourtant un gouvernement. Il était même dirigé par l’Union nationale des forces populaires de Mehdi Benbarka. Pour I. El Omari, la responsabilité de ce gouvernement est bien établie. Nous étions à la veille des années soixante. Hassan II est arrivé quelques mois plus tard. Il voulait améliorer l’armée, surtout que les frontières de l’Est étaient déjà chaudes. L’armée a réussi tout de même à maintenir l’équilibre des forces lors de la guerre de sables en 1963, ce qui lui avait donné quelque notoriété auprès de la population. C’est toujours gratifiant de gagner une guerre. Plus tard également, les médias officiels chantaient les exploits extraordinaires des soldats marocains au Sinaï et au Golan. Des chansons patriotiques ont même été composées à sa gloire. Mais pour les royalistes inconditionnels, les années soixante-dix n’étaient glorieuses pour personne. Deux attentats contre Hassan II à quelques mois d’intervalle seulement. Les militaires voulaient en finir avec Hassan II. Sa «Baraka» était la plus forte. Suite au premier attentat, le Roi a donné les pleins pouvoirs au général Oufkir, qui allait, dit la version officielle, être l’instigateur du deuxième attentat. Des années plus tard, on parle même de son implication dans le premier. Pour l’image de l’armée c’était une catastrophe. Le pouvoir allait user de tous les moyens de communication dont il disposait, la télé, la radio et la presse pour dénigrer les officiers, qualifiés de comploteurs, de fauteurs de troubles et de renégats. Dans l’autre camp, on affirme que les coups d’Etat étaient en fait une révolte contre le pouvoir à qui les militaires «renégats» rendaient le qualificatif. Il ya eu des changements évidemment, suite au deuxième attentat. Il n’y aura plus de ministre de la Défense et Hassan II est désormais le chef suprême des forces armées royales. Les officiers sont mieux tenus. Une organisation implacable sera mise en place afin de tout connaître sur tout le monde. Le renseignement militaire a du être efficace et semble l’être toujours puisque plus rien ne s’était passé depuis août 1972. Le calme. Par ailleurs, les officiers étaient plus que choyés. Voitures de service, villas de fonction avec plusieurs plantons, une nouvelle race de militaires est née. Les généraux et même les autres gradés en ont bien profité. Des richesses sont sorties de rien. Licences de pêche, agréments de transport de voyageurs et de marchandises, licences d’exploitation de carrières de sables, les moyens étaient divers et permettaient à l’Etat d’assurer à ses défenseurs des compléments de ressources impossibles à trouver dans un budget maigrichon. Le plus intéressant dans l’histoire, c’est que les officiers n’ont pas délaissé leur travail. Ils ont professionnalisé l’armée, veillé sur les frontières et accompli de belles œuvres durant les longues années de la guerre au Sahara. On leur reproche même parfois des méthodes pas très amènes. La légende retient l’image d’un Ahmed Dlimi jetant des «ennemis» du haut d’un hélicoptère. Mais bien entendu, il n’existe aucune preuve. Ahmed Dlimi, l’homme fort qui a remplacé, à moitié seulement, le général Mohamed Oufkir était la vedette de la guerre. Il donnait l’impression d’être un des plus grands fidèles du trône. Les circonstances de sa mort restent aujourd’hui encore inconnues. Un accident près de Marrakech alors que Hassan II recevait le chef d’Etat français François Mitterrand. Il était le dernier à bénéficier d’un «régime» plus ou moins spécial. Après lui, il n’y aura plus de vedette. Aucune tête ne sort du lot. Mais peut-être que les officiers ont compris. Leur chance est sans doute de travailler dans d’autres conditions que leurs prédécesseurs. Pourtant, le pays doit se trouver de nouveaux dirigeants militaires. Les chefs actuels sont très âgés et leur espérance de vie active est très limitée. Que fera Mohammed VI ? Alors qu’on parle déjà de plusieurs départs à la retraite.

La Guerre des sables : Comment les FAR ont battu l’Algérie

Mohamed semllali

La première guerre que le Maroc a menée fut contre l’Algérie. Les historiens l’ont désignée sous l’appellation de la guerre des sables. C’est pendant le mois d’octobre 1963 que le conflit militaire opposant le Maroc et l’Algérie éclate. L’affrontement direct entre les deux armées a eu lieu après plusieurs mois d’incidents frontaliers. Cette guerre ouverte a eu lieu dans la région de Tindouf et Hassi-Beïda, puis s’étend par la suite à Figuig. Les combats cessent le 5 novembre, et l’Organisation de l’unité africaine obtient un cessez-le-feu définitif le 20 février 1964.

Le 14 octobre, les Forces armées royales occupent Hassi-Beïda et Tinjoub et repoussent les forces algériennes vers la piste Béchar-Tindouf. L’armée algérienne s’empare de Ich, une localité marocaine dans le désert, bien au-delà la zone contestée. Pour l’Algérie, il fallait ouvrir un nouveau front pour desserrer l’étau sur les troupes algériennes harcelées au sud. Le 18 octobre, les Algériens arrivent au bord de Figuig. Les FAR, commandées par l’expérimenté général Driss Ben Omar, sont mieux équipées et approvisionnées, tandis que l’armée algérienne, commandée par le futur président algérien Houari Boumédiène, douée pour la guérilla mais mal équipée, souffre de problèmes logistiques.

L’Algérie est fortement aidée par Fidel Castro qui envoie sur place un contingent de 686 hommes avec aviation, blindés, et artillerie et par Jamal Abdel Nasser qui expédie lui aussi 1000 soldats en Algérie. Le 20 octobre, trois colonels égyptiens capturés dans le théâtre des opérations sont présentés par les FAR à la presse. Le Maroc contrôle la situation et inflige à l’Algérie une défaite militaire sans qu’il ne reçoit l’appui ni de la France ni des Etats-Unis. Les militaires marocains poussent leur avantage sur le terrain et arrivent à 12 kilomètres de Tindouf qu’ils n’occupent pas après l’intervention du président français Charles De Gaulle.

Même s’il arrête son avancée victorieuse, le Maroc bénéficie d’une situation militaire favorable, en tenant Hassi-Beïda et Tinjoub, et en approchant de Tindouf. En avril 1964, 379 prisonniers algériens sont échangés contre 57 marocains, ce qui conforte la thèse d’une supériorité générale des forces marocaines lors du conflit. Le Maroc annonce un bilan officiel de 39 morts, tandis que les pertes algériennes, jamais publiées, s’élèvent, de sources françaises, à 300 morts.